1. Le Conseil des ministres discute le projet de budget (PdB) pour l’année 2017, en retard déjà sur l’échéance constitutionnelle. En effet, la constitution enjoint au gouvernement de transmettre au Parlement le PdB pour une année donnée (en l’occurrence 2017) au début de la session législative d’octobre de l’année précédente (2016) – accompagné du “relevé des comptes” de la dernière année fiscale entièrement révolue (2015) – pour que la loi budgétaire puisse être promulguée et publiée au Journal officiel avant le 31 décembre 2016, permettant ainsi au gouvernement d’engager des dépenses dès janvier 2017. Ce principe est transgressé depuis onze ans puisque la promulgation de la dernière loi budgétaire remonte à 2005 – début d’une période de remous politiques où deux années durant, la légitimité du cabinet n’était pas reconnue de tous, et le Parlement ne siégeait pas. Le dernier relevé de comptes soumis au parlement remonte donc à 2003.

 

  1. Au delà de sa double dimension comptable et fiduciaire, le budget est un levier primordial et puissant qui permet au gouvernement d’optimiser la gestion des finances publiques, et par delà d’influer sur les grands choix économiques de la nation, non seulement à l’horizon de l’année fiscale en cours, mais aussi sur le moyen-terme.  Les PdB, régulièrement préparés par le ministère des Finances, présentés au conseil des ministres et transmis au parlement, fût-ce hors des délais constitutionnels, ont rarement soulevé les débats de fond qui s’imposent, car la philosophie de l’exercice du pouvoir au Liban fait que les discussions vont rarement au delà de l’allocation de crédits à tel projet ou telle région favorisés par tel potentat ou tel parti, ou de l’opportunité d’une modification fiscale vu son incidence sur tel intérêt partisan ou corporatif.

 

  1. Le PdB de 2017, comme les précédents, manque d’un attribut essentiel de conformité aux bonnes pratiques, dans la mesure où le budget doit incarner et refléter les orientations et choix économiques et sociaux fondamentaux du gouvernement. En dépit de bonnes recommandations formulées en 2010 par la commission du Budget et des Finances du Parlement, entre autre pour que le budget couvre l’ensemble du secteur étatique, des failles et carences continuent d’être observées en 2017, notamment en ce qui concerne: (i) l’allocation des dépenses publiques, qui n’octroie toujours pas la part nécessaire à l’investissement en capital, négligé au profit des dépenses courantes (salaires); et (ii) le besoin de brider le flot de propositions ad-hoc d’amendements fiscaux en dehors de tout cadre compréhensif et consistant de réforme fiscale, et sans mesure aucune quant à leur incidence sur l’économie nationale (investissement, consommation, emploi, exportations,…) – en bref sans justification autre que le besoin d’alimenter les rentrées du trésor.

 

  1. Au Liban, le budget devrait être établi avec l’objectif crucial d’endiguer la dérive du déficit – et son corollaire, la dette publique – qui de ce fait devrait constituer “l’ancre” de la politique budgétaire, déficit dont le montant, défini en pourcentage du produit intérieur brut (taille de l’économie), devrait être arrêté d’avance par le gouvernement. La somme du déficit ainsi choisi et des revenus anticipés, définirait alors le plafond des dépenses soutenables. Toute dépense supplémentaire ne devrait être couverte que par de nouvelles recettes, c.à.d. en aucun cas, comme il est d’usage au Liban, par un élargissement du déficit, comme le révèle encore le PdB 2017 en dépit d’une majoration substantielle de l’imposition.
  2. Le budget relève, certes, d’un compromis entre les desiderata de tous les ministères, demandes des régions, et besoins des divers secteurs et pôles d’activité de la nation, allant des services sociaux à la défense et l’infrastructure – contraintes réelles qui réduisent la flexibilité et l’efficience économique dans l’allocation des fonds publics. Il n’en demeure pas moins que l’allocation des dépenses publiques doit répondre à des principes transparents, et qu’un plafond doit limiter les dépenses courantes devenues incontrôlables du fait de la croissance effrénée de l’emploi public, et prendre en compte les besoins de financement des secteurs-clés de l’infrastructure, dont l’état vétuste et la capacité insuffisante constituent une entrave majeure à l’activité économique. En parallèle, l’investissement en capital doit être fortement accru, et s’inscrire dans un schéma de développement qui remette à niveau l’infrastructure, et où les priorités sont établies en fonction de critères économiques et sociaux rigoureux, et ne se traduisent plus selon la pratique courante par un magma sous-optimal de projets disparates résultat d’arbitrages opportunistes entre partis, et qui répondent à une conception biaisée du “développement équilibré”.

 

  1. Il est aussi important d’assurer que le document budgétaire, en termes de recettes et dépenses, couvre le secteur public en son intégralité, en somme un relevé des finances consolidées de l’état non restreint à certaines entités à l’exclusion d’autres (caisses et organismes publics). Parfois, la réticence des gouvernements à l’inclusion de certaines entités publiques, tient à leur crainte que ceci ne fasse apparaitre sous un jour plus sombre la réalité des déficits. Arguer, en ce contexte, du besoin de flexibilité qui doit être consentie à un organisme public ne peut être un prétexte pour le soustraire au budget et au contrôle du corps législatif, quelques soient la mission de cet organisme ou les sources de financement dont il bénéficie. Les principes de la comptabilité nationale requièrent aussi que dépenses et recettes soient inscrites séparément en montant brut, et non en valeur nette – ayant soustrait les dépenses des recettes – afin de permettre une évaluation de la performance des administrations diverses, et de l’efficience avec laquelle elles gèrent leurs affaires.

 

  1. Les normes de la comptabilité nationale intiment enfin que tout engagement du secteur public se traduisant par une dépense, fut-elle tangible ou de nature “quasi-fiscale”, doive figurer au budget. Toute obligation qui engage la responsabilité financière de l’état, au présent et à l’avenir, doit figurer au budget. Dans ce cadre, les subventions de taux d’intérêt consenties par l’état, par l’intermédiaire de sa banque centrale, aux activités qu’il veut promouvoir doivent figurer au titre des entrées budgétaires, tout comme les coûts associés aux restructurations bancaires menées par la banque centrale. L’ingénierie financière récemment élaborée par la banque centrale, quelque soit son effet salutaire, doit de même être reflétée dans les comptes nationaux, fut-ce en débit ou crédit.

 

  1. Dans la lignée de ses antécédents, Le PdB 2017 est “encombré” d’une série d’amendements fiscaux ad-hoc (27 au total) qui ne sont que des palliatifs obligés pour assurer des recettes et essayer d’enrayer un déficit chronique.  Sans homogénéité entre elles, “parachutées” sans analyse préalable quant à leur impact sur l’économie nationale, ces propositions d’amendements vont du plus anodin au plus conséquent, et risquent de faire du budget un accessoire pour altérer, chemin faisant, la politique fiscale en l’absence d’une vision cohérente de l’économie nationale. Si telle était la pratique d’exercice en exercice, elle pourrait en quelques années transformer radicalement la politique et le code de la fiscalité sans que cela ne soit l’objectif voulu, et sans que nul n’y prenne garde. Parfois même, au lieu de viser à simplifier, alléger et uniformiser les procédures fiscales, certains des amendements proposés en alourdissent la gestion. La proposition par exemple de majorer de 10% la TVA, importante il est vrai comme source de recettes, est malvenue dans le cadre d’une politique de relance de la croissance par la consommation, tout comme l’imposition de taxes d’aéroport pour qui voudrait encourager le tourisme. Ce qu’il y a d’alarmant dans le PdB 2017, c’est l’allocation d’ores et déjà (fut-il sous la rubrique “réserves”) de crédits pour la refonte de la structure des grades et de l’échelle des salaires – engagement financier récurent et colossal de l’état – sans résolution conjointe assurant le gel du recrutement débridé dans la fonction publique, toutes branches confondues. La revalorisation de cette structure, bien que discutée par le parlement en 2014, n’a pas encore été votée par ce dernier.

 

  1. Les réformes fiscales dont le Liban a besoin doivent pour réussir, être préparées, discutées et approuvées indépendamment des échéances budgétaires. Elles doivent être élaborées en concertation avec les parties prenantes, idéalement en parallèle avec d’autres mesures – par exemple l’amélioration des prestations et services publics – qui rendraient une hausse des taxes et redevances acceptable et légitime. Sinon, devenant otage des tensions et arbitrages budgétaires, les réformes fiscales risquent d’être controversées ou simplement rejetées. A titre d’illustration, la proposition visant à porter de 5 à 7% les prélèvements sur intérêts bancaires: alors que les salaires et les profits des sociétés sont imposés à des taux allant du double au triple, la logique de ne prélever que 5% ou même 7% sur les intérêts est difficile à saisir. Les remous soulevés à cette proposition tiennent à ce qu’elle est avancée sans être insérée dans un cadre plus global d’une refonte de l’impôt sur le revenu où, dans un système d’imposition équitable, les intérêts des dépôts bancaires seraient ajoutés au rentrées imposables du déposant, et assujettis au taux de prélèvement auquel ce contribuable est passible sur les tranches de son revenu.

 

 

Samir El Daher

Economiste, Ingénieur des Mines

Ancien Conseiller à la Banque mondiale