1.Cette note discute les déterminants principaux de la croissance économique au Liban, ainsi que les défis et obstacles majeurs à cette croissance. Le Liban ne peut réaliser des taux de croissance élevés et durables, et créer des emplois en qualité et nombre voulus pour enrayer l’émigration et consolider l’entente civile, que dans le cadre d’une «économie de la connaissance», ancrée dans le «savoir», qui mette à contribution ses réserves vives d’expertise et de talent. Ce sont ses ressources humaines qui confèrent au pays son avantage comparatif aux niveaux régional et global, et lui permettraient, dans certains secteurs, de devenir un pôle régional important capable d’accroitre la taille de son marché, et donc de son économie, par l’exportation de ses biens et services.
2. Le Liban est un petit pays. Une économie fermée à la mesure de 4 millions de consommateurs résidant sur un territoire d’environ 10.000 km² ne permettrait pas au Liban d’opérer à son potentiel économique optimal. Son marché interne est trop exigu et n’offre pas la possibilité de réaliser les économies d’échelle qui permettent d’améliorer la productivité et la compétitivité de l’économie. A cette fin, le Liban devrait mieux s’intégrer dans l’économie mondiale, élargir la taille de son marché, et offrir ses biens et services bien au-delà de son territoire et sa population résidente. Ceci appelle à repenser le modèle économique qui a peut-être bien servi le Liban dans le passé mais en a fait un pays essentiellement importateur, avec une balance commerciale en déficit chronique qui se monte aujourd’hui à plus de 20% du PIB (à comparer par exemple à 4% en France). La balance des paiements se trouve en équilibre compte tenu du flux de dépôts étrangers au secteur bancaire. Toutefois, l’excédent de la balance des paiements n’est pas en lui même générateur d’activité et d’emploi. L’important aussi est de réaliser une balance commerciale excédentaire par une augmentation massive des exportations – autre, bien entendu, que celle des jeunes diplômés, facteur de production précieux, et condition même pour une amélioration pérenne de la productivité.

3.Au cours de cette décennie, les pays duMoyen-Orient et d’Afrique du Nord doivent créer 40 millions d’emplois pour résorber les nouveaux entrants au marché du travail. Dans cette région, le taux de chômage de 15%, n’est dépassé que par l’Afrique sous-saharienne. Le chômage affecte de façon plus aigue les jeunes et les femmes. (Les statistiques pour le Liban sont insatisfaisantes et font état d’un taux de chômage de 18% en 2008 et de 10% en 2009.)  Le défi du chômage ne saurait être relevé sans que l’économie de la région ne soit, par l’exportation comme l’importation, mieux intégrée dans le circuit des échanges internationaux. Dans ce domaine un grand retard reste à être rattrapé par le monde arabe où les exportations (non pétrolières) ne représentent que 6% du PIB comparées, par exemple, à 20% en Asie de l’Est, ce qui a permis le «décollage» économique de cette région.

4.Pour gagner la bataille de l’emploi, le Liban devrait faire plein usage de ses ressources, en priorité son capital humain et son emplacement stratégique au carrefour des routes du commerce, à la pointe de trois continents. Mais il faut en parallèle enrayer l’augmentation des coûts de production qui, compte tenu des rigidités structurelles et institutionnelles, et en dépit de niveaux de salaires très bas, entament les marges concurrentielles des secteurs d’exportation.L’objectif du plein emploi ne se mesure pas seulement en termes quantitatifs par le nombre d’emplois crées (au Liban, par exemple, 200.000 étrangers travaillent comme employés de maison); c’est la qualité des emplois qui est tout aussi importante, et qui se définit en termes de valeur ajoutée par emploi, du degré de spécialisation requis, et du niveau de rémunération qui est particulièrement important au Liban au vu du faible niveau des revenus réels, c.à.d. de leur pouvoir d’achat.

5.La politique économique, financière et sociale de l’état (cadre légal, gouvernance des institutions publiques, politique monétaire, régime fiscal, qualité de l’infrastructure, niveau et qualité de l’éducation) a un impact majeur sur le dynamisme et l’essor de l’économie.Le développement économique toutefois repose largement sur l’initiative privée, et dépend de l’utilisation optimale des ressources dont un pays est nanti. Partout dans le monde, les économies fondées sur l’agriculture et l’industrie ont évolué en parallèle avec le progrès technologique, le développement des voies et moyens de communications, et la libéralisation des échanges et des flux de capitaux. Aujourd’hui l’assise de la croissance est ancrée dans  la «connaissance» – technique, scientifique, médicale, juridique, financière, organisationnelle, linguistique, et artistique – facteur de production primordial susceptible d’ajouter la plus grande valeur.

6.Le Liban devrait se placer dans cette perspective. Sa richesse consiste de la réserve de main-d’œuvre spécialisée, source intarissable où puisent les pays de la région et des continents plus lointains. Il doit œuvrer pour que cette précieuse ressource soit retenue dans le pays, et utilisée dans les secteurs où il peut aspirer à devenir un pôle régional principal. Parmi ces secteurs, les plus prometteurs seraient: les services hospitaliers et médicaux; les centres d’éducation; le conseil; l’ingénierie; la comptabilité et l’audit; l’interprétariat et la traduction; la communication et la publicité; la recherche scientifique; et les technologies de pointe dans quelques domaines spécifiés. Cela, bien sûr, en plus des secteurs traditionnels où sa position est bien établie, tel que la banque et l’assurance, le tourisme culturel et balnéaire, et la production agricole et artisanale à haute valeur ajoutée comme la viniculture et l’orfèvrerie. Le développement de ces activités pourrait nécessiter la création d’enclaves d‘études et de recherches et des parcs industriels, ainsi que des zones franches pour les opérations destinées aux exportations. Compte tenu de son emplacement géographique privilégié, le Liban peut renforcer son rôle comme agent principal ou intermédiaire sur les routes internationales du commerce. Cela demanderait entre autre la modernisation des installations portuaires et le renforcement de l’efficacité de leurs opérations. Le rôle du secteur public serait essentiel dans la planification et la réglementation de ces opérations, et la participation du secteur privé serait indispensable à leur financement et gestion.

 

 

/SElDaher, Mars 2011